1 janvier 2011

Plongée dans une des plus grande rivalité du vieux sud


La première impression n'est pas visuelle mais olfactive. Baton Rouge, Louisiane, onze heures du matin. Tout autour de Tiger Stadium les tentes sont montées, le violet et le jaune envahissent petit à petit tous les coins de pelouse qui bordent le temple du football de la Louisiana State University et les barbecues parfument à foison l'air ensoleillé de ce début novembre. La bière coule à flot servant de combustible aux jeux de "beer-pong" auxquels se livrent la plupart des étudiants. Les plus anciens préfèrent les tranquillement regarder les autres matchs de la journée sur les écrans géants installés à l'arrière de leurs "pick-up trucks". Michigan-Illinois pour quelques-uns, Florida-Vanderbilt pour tous les autres. Ici, c'est "SEC Country", les autres conférences ont à peine droit de cité. Ce que m'a confirmé la veille Laura, une ancienne élève de LSU qui habite désormais un peu plus au nord de la Louisiane : le football est de meilleure qualité dans le Sud que dans le Midwest ou partout ailleurs. La fierté du vieux Sud n'est jamais autant exacerbée que quand il s'agit de football...


Ca et là, quelques tuniques rouges pointent le bout de leur nez mais la majorité des énormes "trailers" qui ont convergé vers Baton Rouge viennent des quatre coins de Louisiane. Les fans d'Alabama seront noyés dans une marée "purple & gold" à l'heure du kick-off.

La rivalité entre les deux universités est plus que centenaire. La première confrontation remonte à 1895. LSU l'avait emporté 12 à 6 avant de récidiver l'année suivante. Depuis Alabama a la main-mise sur la série : 45 victoires pour le Crimson Tide contre 23 pour les Tigers et 5 nuls. Il faudra probablement encore un siècle avant que Louisiana State ne reprenne l'avantage mais pour les fans seul compte le résultat du jour. Et depuis trois ans la rivalité est amplifiée par la présence de Nick Saban à la tête du Tide. Head Coach de LSU de 2000 à 2004, Nick Saban a conduit les Tigers au titre national en 2003 avant de céder à la tentation de la NFL. C'est Les Miles qui a repris LSU en 2005, menant ses troupes à trois victoires consécutives sur Alabama, alors au plus mal. En 2007, le "Mad Hatter" remporte même le titre national, la deuxième fois pour LSU dans l'ère BCS. Cette année-là, Louisiana State s'impose difficilement à Tuscaloosa sur une équipe d'Alabama entrainée par... Nick Saban. 


L'ancien coach des Tigers a décidé la saison précédente de reprendre du service en College Football chez nulle autre qu'un des principaux rivaux de son ancienne équipe. Crime de lèse-majestée, pire, de haute trahison. D'autant que beaucoup d'observateurs estiment que l'équipe de LSU championne nationale en 2007 est davantage le produit du recrutement de Nick Saban que du talent d'entraineur de Les Miles. La fureur est donc à son comble du coté de Baton Rouge sans compter que, pour ne rien arranger, Nick Saban remonte Alabama au sommet de la hiérarchie nationale, se paie par deux fois le scalp des Tigers en 2008 et 2009 en remportant au passage la division Ouest de la SEC les deux années et surtout le titre national la seconde.

En ce doux jour d'automne sur la Louisiane, le match entre les deux rivaux prend donc encore une tournure dramatique et guerrière et les T-shirts sont nombreux à rappeler que les fans des Tigers n'ont pas pardonné à Nick Saban. D'autant que, sous la direction de Les Miles, LSU peine à retrouver les sommets d'une conférence récemment dominée par Florida et, justement, Alabama.


A 14h30, alors que le coup d‘envoi n’est plus qu’à quelques secondes, près de 93000 spectateurs ont pris place dans le stade. Les chants commencent à fuser, les joueurs de LSU, rentrés un peu plus tôt sur la pelouse au travers des poteaux en forme en “H” si typiques du Tiger Stadium, ont été accueillis comme des stars. Ceux d’Alabama ont été copieusement hués. La palme revient évidemment à Nick Saban, conspué comme le traitre que beaucoup considèrent encore aujourd’hui qu’il est. Tori, une étudiante en troisième année, me confiera plus tard qu’Alabama est sans contestation possible le rival numéro 1 de LSU et que la haine entre les deux équipes dépasse même celle entre Alabama et Auburn, c’est peu dire. Elle non plus n’a pas digéré que Nick Saban quitte le navire de LSU pour revenir deux ans plus tard à Alabama. Sans doute aurait-il pu reprendre du service dans une autre conférence sans que les fans des Tigers ne lui en tienne rigueur. Mais pas en conférence SEC, encore moins dans la division Ouest de LSU et encore sûrement moins chez l’ennemi Crimson Tide ! Pour son premier retour à Death Valley il y a deux ans, il avait fallu le concours de la Police, des gardiens de prison et de l’armée, c’est à dire en somme de toutes les forces de l’ordre locales disposant d’un 45 à la ceinture, pour assurer la protection de Nick Saban. Un chef d’état n’aurait sans doute pas eu besoin d’une telle escorte...


Des deux cotés opposés du stade les cheerleaders commencent à chauffer leurs troupes. Ceux de LSU n’ont visiblement pas besoin d’être encouragés, ils sont déjà au summum de l’excitation. Tout le contraire de leur mascotte Mike VI qui, tranquillement couché dans sa cage mobile, ne semble pas le moins du monde perturbé par l’environnement électrique qui submerge le stade. Le gros félin tente vainement de se plonger dans sa sieste. Heureusement pour lui, il rejoindra son antre dès le début de la rencontre pour profiter d’une paisible après-midi de prélassement au soleil.


La partie débute enfin, après une longue cérémonie pour honorer d’anciennes gloires de LSU de différents sports. C’est LSU qui gagne le toss et décide évidemment de commencer en défense. Les Tigers portent leurs maillots blancs, ils sont la seule équipe du College Football à être autorisée à jouer en blanc à domicile. Alabama jouera donc dans ses traditionnelles couleurs Crimson & Cream. Le début du match est tendu, les défenses sont aggressives, les plaquages sont intenses et proprement exécutés. Quelques semaines auparavant LSU a laissé à Auburn des boulevards en se montrant incapables de plaquer les coureurs des autres Tigers. La leçon a été bien retenue et la défaillance rectifiée à l’entrainement. RB Mark Ingram (97 yds, 1 TD) et RB Trent Richardson (28 yds à la course / 1 yd, 1 TD en réception de passe) sont surveillés de près. Le détenteur du trophée Heisman trouve néanmoins quelques brèches dans ce premier quart-temps mais l’attaque d’Alabama ne progresse guère sur le terrain. QB Greg McElroy (21-34, 223 yds, 2 TD, 1 INT) cherche d’entrée de jeu WR Julio Jones (89 yds, 1 TD) mais ses deux premières tentatives échouent. Pire, sa troisième passe est déviée par CB Tyrann Mathieu avant de terminer son vol dans les mains de LB Kelvin Sheppard sur les 34 yards d’Alabama. LSU se retrouve donc en bonne position en ce début de rencontre mais la défense d’Alabama n’est pas moins sévère que celle des Tigers : RB Stevan Ridley (92 yds, 1 TD) est muselé et le duo QB Jordan Jefferson (10-13, 141 yds, 1 TD à la passe / 28 yds à la course) - QB Jarrett Lee (4-7, 67 yds) ne parvient pas à faire avancer Louisiana State dans les airs. Suite à l’interception sur Greg McElroy LSU doit se contenter d’un FG, un moindre mal pour une attaque qui ne génere que 23 yards dans le premier quart-temps.


Mené au score, le Tide reprend l’offensive avec ses deux stars Mark Ingram et Julio Jones et c’est Trent Richardson qui emmène Bama dans la red-zone adversaire en tout début de deuxième quart-temps sur une course de 22 yards. Puis, après deux échecs à la course sur la ligne des 1 yard de LSU, Trent Richardson est à la réception d’une petite passe extérieure de Greg McElroy et parvient sur le plaquage de CB Patrick Peterson à étendre suffisament la bras pour franchir le plan de la end-zone. Alabama prend l’avantage au score puis reprend son travail de sappe défensif pour empêcher LSU de se montrer dangereux. Stevan Ridley ne trouve toujours pas l’ouverture et ce qui devait être la force des Tigers et leur atout numéro 1 pour battre Alabama devient subitement un motif d’inquiétude. Louisiana State atteint la mi-temps avec 34 yards à la course et mené de quatre points. Heureusement pour les Tigers leur défense tient la dragée haute à l’attaque du Crimson Tide. Le duel Julio Jones - Patrick Peterson est étincelant entre les deux futurs joueurs NFL et LSU limite aussi les dégâts au score compte tenu des 75 yards combinés au sol par Mark Ingram et Trent Richardson.

Alors que la fanfare investit le terrain pour le traditionnel show de la mi-temps la plupart des fans de LSU ignore sans doute que l’Alabama de Nick Saban a remporté 35 des 36 matchs qu’il menait à la pause, dont une série ininterrompue de 28 succès. Le seul motif d’espoir pour les Tigers serait sans doute de savoir que cette unique défaite a été infligée à Alabama par LSU en 2007 à Bryant-Denny Stadium.


Ce sont les Tigers qui entament la seconde mi-temps en attaque et malgré un trick-play appelé par Les Miles avec une feinte de punt convertie en course de 29 yards de PK/P Josh Jasper LSU ne parvient pas immédiatement à revenir au score, la faute à un FG manqué par ce même Josh Jasper. La défense des Tigers les maintient néanmoins dans le match en contenant notamment Julio Jones, la cible numéro 1 de Greg McElroy dans ce match au couteau. Fort de cette solidité défensive, LSU attaque son drive suivant avec un changement de stratégie, délaissant temporairement le jeu au sol infructueux pour se concentrer sur les airs. Tactique payante puisque WR Rueben Randle (125 yds, 1 TD) transforme une courte passe de Jordan Jefferson en TD de 75 yards. Le stade explose lorsque le joueur des Tigers franchit la ligne d’en-but pour redonner l’avantage aux siens. Mais c’est sans compter sur la détermination du Crimson Tide qui orchestre une remontée de 73 yards sur la possession suivante pour envoyer Mark Ingram dans la end-zone de LSU sur sa septième course du drive. Bama mène alors 14 à 10 en fin de troisième quart-temps mais grâce à une course de 41 yards de RB Russell Shepard LSU parvient à atteindre la fin du quart-temps en bonne position sur les 18 yards d’Alabama.

C’est un FG de Josh Japser qui permet à Louisiana State de revenir à un petit point d’Alabama à l’entame de l’ultime quart-temps. Et alors que Tiger Stadium atteint un niveau de décibels pénible à l’oreille la défense de LSU prend finalement la mesure de l’attaque du Crimson Tide. Un sack de LB Ryan Baker sur Greg McElroy compromet le drive d’Alabama et rend la balle aux Tigers. Pour ne pas être en reste, l’attaque de LSU se révolte et Stevan Ridley se met à gambader plus librement entre les défenseurs d’Alabama. Le tournant du match intervient sur une quatrième tentative et un yard à franchir sur les 26 yards d'Alabama. Les Miles appelle un audacieux jeu de reverse pour TE DeAngelo Peterson et le tight-end termine sa course à trois yards de la end-zone de Bama. Trois courses plus tard Stevan Ridley se retrouve dans la end-zone du Crimson Tide et remet LSU devant au tableau d’affichage. La combinaison entre Jordan Jefferson et Rueben Randle sur la conversion à deux points permet même aux Tigers d'assurer sept points d'avance (21-14) à un peu plus de huit minutes du terme du match.


Alors qu'Alabama entame le drive qu'il espère le voir égaliser et conserver par là-même ses chances de victoire, la défense de LSU décide elle aussi de réaliser un gros coup. Sur un drop-back de Greg McElroy RT Drake Nevis évite le block et plonge sur le quarterback du Crimson Tide. La balle roule au sol et LB Kelvin Shepard se couche sur le cuir pour redonner la balle à LSU sur les 28 yards d'Alabama. Deuxième perte de balle du Tide aux abords de ses propres 30 yards et deuxième FG réussi de LSU. Le premier avait permis aux Tigers d'ouvrir le score, ce second leur permet de clore leur compteur de points. 24 - 14 et un peu plus de cinq minutes à jouer, les fans aux bords de la démence s'agitent frénétiquement, désormais sûrs que la victoire ne peut plus leur échapper. Mais Alabama a de la ressource et, tour à tour, Julio Jones et Marquis Maze (35 yds) permettent au Tide de progresser vers l'en-but adverse. C'est Julio Jones qui capte en pleine end-zone une passe de Greg McElroy pour ramener Bama à trois petits points. Il reste alors plus de trois minutes à jouer, largement de quoi permettre au Crimson Tide de récupérer la balle pour aller marquer. Mais sur une cruciale troisième tentative avec 13 yards à gagner Jarrett Lee se connecte avec Rueben Randle pour un gain de 47 yards. LSU devra finalement punter sur ce drive mais avec 18 secondes à jouer et 86 yards à remonter Alabama ne sera pas en mesure d'inquiéter à nouveau les Tigers.


LSU s'impose donc finalement 24 à 21 dans une ambiance explosive. Alors que Nick Saban et ses troupes regagnent rapidement les vestiaires, les joueurs de LSU se regroupent près de la section étudiante. Les cris, les chants, fusent, les joueurs rigolent. Sans doute pensent-ils à tous ceux qui n'ont pas cru en eux, ceux qui en avaient fait des outsiders de cette rencontre jouée chez eux, sur leurs terres. Dans sa conférence de presse Les Miles, plaisantant et tout sourire, explique la grossière erreur qui consiste à ne pas pronostiquer LSU favori à Death Valley. Il savoure cette victoire, l'une des plus importantes de sa carrière face à un Nick Saban qui lui a fait tant d'ombre. Cette fois, pas d'excuse : SON équipe a vaincu celle de Nick Saban, SES joueurs ont battu ceux de Nick Saban. Il rend hommage aux 92500 fans qui en paraissaient 300925, expliquant que l'ambiance à Tiger Stadium n'a jamais été meilleure qu'en ce jour, jamais meilleure, et que la journée a été tout simplement spectaculaire. Il rend également hommage à son duo de quarterbacks, rappelant que LSU joue avec un système à deux QB et qu'ils ont été aussi parfait qu'il fallait l'être. Il rend hommage à sa défense qui a joué de façon physique, il rend hommage à son équipe qui s'est battue du premier au dernier snap, et celui d'après s'il l'avait fallu. Enfin, interrogé sur la 400ème victoire de Joe Paterno, il rend hommage à Joe Pa et Bobby Bowden, notant que personne n'égalera plus jamais ces légendes et saluant avec respect leurs carrières respectives. Hommage à deux grands coaches d'un coach qui dans le coeur ne l'est pas moins.


De l'autre coté du stade, dans la petite salle qui sert de salle d'interview aux visiteurs, l'ambiance est moins à la fête. Nick Saban, le visage fermé, revient sur la déficience défensive de son équipe, incapable d'arrêter LSU en seconde période durant laquelle les Tigers ont engrangé 338 yards au total dont 191 à la course. Il avoue bien volontiers que LSU mérite sa victoire et insiste que son équipe n'est pas aussi performante qu'elle peut l'être et ne joue pas au niveau dont elle est capable. Il ressort rapidement de la salle de presse, accompagné de son épouse et entouré de trois policiers. Dehors quelques fans d'Alabama assistent à la scène, visiblement abattus. Dans l'ascenseur qui permet l'accès à la luxueuse tribune de presse du Tiger Stadium, un mari essaye de réconforter sa femme. "Ca va aller" lui glisse-t-il doucement. Elle parvient difficilement à retenir ses larmes et murmure dans un sanglot "Non, ça ne vas pas aller, ça ne va pas aller". Ces quelques mots donnent la mesure de ce que ce match représente pour la communauté de Tuscaloosa, de ce que le football représente dans la SEC. Bien plus qu'un sport, bien plus qu'un passe-temps. Il est amusant de constater que tout le monde ici parle de football, que mêmes les étudiantes s'intéressent à leur équipe et aux résultats de leurs adversaires. Tori relève le point de sa copine Laura : dans le Midwest, les universités mettent l'accent sur les résultats académiques, dans le Vieux Sud le sport est roi à l'université.

Dehors, alors que le stade s'est vidé, les fans de LSU continuent leur impressionnant tailgate. D'autres prennent la direction des bars de la ville, Walk-On's aux abord du stade, où Georgia's un peu plus loin de là. Beaucoup convergent vers Tigerland où Fred's et Mike's semblent avoir la préférence des étudiants. Le trashy Brightside, un peu plus à l'écart, est aussi un grand favori. La soirée s'annonce longue et arrosée. Quelque soit l'issue de la rencontre la fête aurait de toute façon battu son plein. Mais ce soir-là les festivités seront un cran au-dessus parce que gagner contre Alabama quand on est étudiant à LSU est l'expérience d'une vie. Et ça n'est pas exagéré.


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